Journal du mois d'octobre 2009.

Based on not true event.

Cher journal,

Je suis moche et je t’ai fais pipi dessus alors tu ne sens pas trop bon. Je t’écris une ultime fois avant de te livrer aux services d’entretient de la maréchaussée, comme je vais te le doucement exposer. Sache bien que je prends cette peine innommable car je pense du fond de mon cœur et de mon âme que j’ai contracté un devoir en t’adoptant et je m’en voudrais toute ma vie entière si je savais que nous nous quittons en te laissant le chagrin en dedans toi. En vérité, tandis que j’hésitais à te manifester ma tendresse du même geste quotidien qui peuplât nos journées à tous deux par son rituel délicieux – de ce que je frottais tes pages contre ma figure d’enfant gâtée, pourrie, aux boutons pustuleux et à la nécrose partielle de la mâchoire gauche – tandis que j’hésitais à tel mouvement jusqu’ici habituel et du fait de l’odeur âcrement acide de mon urine sur tes pages, je découvris une inscription sur la page de garde, dans son coin inférieurement droit. J’eus la surprise, du reste issue d’un hasard fortuit comme on le constatât tous deux à l’instant, de découvrir la composition de tes feuillets satinés et liés de fines cordelettes de soie blanches. Mes yeux s’écarquillèrent d’abord devant la préciosité implacable, et toutefois fort égarant pour le commun, je m’en doute aisément, du propos tenu pour décrire un stratagème de production ma foi assez simple et brillant – permets moi l’aphorisme. Donc, tes pages sont à quatre-vingts pour cent d’un composé végétal de feuilles digérées issues des métabolismes intestinaux et gastriques de bestiaux pachydermiques, issus de la famille du Loxodonta Africana – si ce n’est ce cher individu racé lui-même. C'est-à-dire en fait que tu es fait à quatre-vingts pour cent de crottin d’éléphant. J’avoue tout à fait la surprise que fut la mienne sur l’instant de m’imaginer racontant ma vie à une merde ; je reconnu spontanément l’ironie un peu triste de ce que je racontai depuis tant de temps ma vie à une merde ; je me lamentai bien vite de ce que mon seul confident soit une merde. Et je n’eus pas l’insolence d’établir quelque parallèle avec la réalité de ce que l’humanité se prend d’amitié pour le crottin d’animaux plus que pour d’autres êtres humains présents dans la rue, garnissant les vitrines et peuplant les pots de fleurs, nourrissant les chrysanthèmes ou bien déféquant allégrement ici et là, un peu partout en somme sur la surface de ce bon vieux caillou qui tourbillonne à plus de mille kilomètres par heure, sur elle-même. Et tu vois, cher journal, face à de telles constatations au pragmatisme déroutant de bon sens, je comprends bien que tu te sentes mal, car tu sens mauvais. Il n’empêche donc, tandis que je subissais, impuissante, les flots offensifs des parfums vomitoires de ma propre urine de transformation humaine de la bière outrancièrement consommée la veille, je découvris avec stupeurs et tremblements ta fatale composition. Mais pourquoi t’ais-je uriné dessus, vas-tu me demander les nuits où ton cadavre déchiré viendra me hanter les songes, je le sais ; aussi te réponde-je dorénavant, tantôt, maintenant. Il se trouvât hier que j’ai un peu trop bu car, comme tu le sais si bien, Dieu inventât les garçons pour que la bière ait une utilité, et lorsque nous buvons beaucoup, il nous faut vider notre sac afin de n’en point trop sentir le poids. Sinon, c’est la noyade assurée et l’on ne peut plus nager, sur pesé que nous devenons. Or nous avions prévu de faire quelques barbotages avec les poulets et les canards, donc je devais aller uriner. Passablement faite, je me figurai bientôt pouvoir uriner debout, tel un homme, un vrai, faisant l’impasse du même coup sur ce que chaque mois je devais m’insérer six jours durant une sorte de clé USB de coton délicatement recouverte dans la muqueuse vaginale afin de ne pas horriblement trépasser dans des soubresauts infâmes dus à une hémorragie cérébrale foudroyante. Si l’entreprise ne fut pas naturellement vouée à l’échec, c’est que les différentes pressions abdominales et intestinales firent bien leurs ouvrages et le jet de liquide âcre du breuvage insipide fadement considéré par mes tripes eut tout de même le bon sens de sortir. De jaillir même. Mais un peu chaotiquement, sans mot d’ordre, sans organisation, follement. Ainsi j’arrosai scrupuleusement, et je dois dire fièrement, le tapis de bain, l’évier, ma brosse à cheveux et celle à mes dents, quelques chouchous, ma boîte de clés USB cotonnées, du savon, une serviette, des épingles, du rouge à lèvres ouvert et, enfin, toi, cher cahier qui pue la pisse, maintenant. Et la pisse d’alcoolique.

Considérant tout cela avec la gravité que je dois à la réflexion intensément métaphysique de ton utilité en vue de ta revalorisation technique (un excrément à l’odeur d’urine, disons le tel que ce doit être dit, n’est-ce pas), j’ai longtemps balancé l’avenir de l’humanité dans ton destin de cuvette. Voyons le ainsi, tu es composé d’éléments qui échappèrent à la cuvette au moins une fois de trop. Et si l’on imagine que je pousse le vice – avouerais-je, tendre ami, que j’y ai friponneusement songé – jusqu’à te donner à ruminer à quelque éléphant déprimé du zoo maussade du coin, tu auras été trois fois digéré, n’est-ce pas cocasse, alors, hé ? Je trouve bien que si. Une fois par l’honorable éléphant qui composât du même coup le Crottin Originel, un genre de Adam et Eve de la bouse éléphantesque (Mowgli s’en réjouit encore, le coquin). Une deuxième fois par moi qui digérait ma vie dedans toi, ton estomac de papier de naitrons énormes. Une troisième, ultime fois, par le passible animal endormi et cardiaque qui jonche plus qu’il ne peuple une cage dans un parc sordide où l’on entrepose des animaux à jouer les bêtes dangereuses. Là bas, même un squale accepterait un câlin pour se sentir vivant, c’est dire. C’est alors que j’en vins à la digne conclusion de te livrer à la courageuse équipée des farouches chevaucheurs de camions puissants, ces tanks du nouveau monde, ces maîtres des dynasties oubliées, ces titans de la nouvelle ère, ces dieux enfin, ces servants d’Héphaïstos ! Ainsi, si l’un de ces honorables éboueurs venait à saisir ta fragile structure de ses grosses pattes gluantes et noircies des décombres de choux pourris, de papiers hygiéniques ensanglantés et de cadavres séchés de chats noyés dans l’ammoniaque pour voir, je crains de devoir te déclarer définitivement son trophée. Car enfin il faut bien que les petites gens s’amusent de ce dont les adolescentes du grand monde se détournent et dédaignent. Car enfin, je ne suis pas une enfant !

CACA !